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27 novembre 2015. Dans la petite salle polyvalente de Château-Arnoux Saint-Auban, la fête du « Mieux vivre ensemble » bat son plein. Musique, brouhaha des conversations, enfants qui dansent et courent partout, stands de nourriture du monde entier proposés par les habitants : dans cette commune mi-paysanne, mi-ouvrière des Alpes-de-Haute-Provence, l'usine chimique a fait venir des familles d'une trentaine de nationalités différentes. Algériens, Espagnols, Russes, Polonais, Grecs, Arméniens, Turcs, Marocains, Italiens… Aux enfants et petits-enfants d'immigrés se mêlent les nouveaux venus, comme ces deux familles tchétchènes qui font goûter des spécialités de leur pays. Ou encore une quinzaine de jeunes hommes soudanais, des migrants qui avaient atteint Calais et viennent tout juste d'être installés à Sisteron, à 15 km de là, le temps que soit traitée leur demande d'asile. La plupart ne parlent pas français et ont l'air un peu perdu…

Maria Poblete, Elsa Solal, Murielle Szac, Nimrod et Bruno Doucey sont presque aussi désorientés. Ils sont écrivains et débarquent de Paris pour clore leur résidence d'auteurs sur le territoire. Le lendemain matin, à la médiathèque, Murielle Szac dira leur émotion. « On est encore dans les attentats du 13 novembre, un peu choqués… La fête d'hier soir, elle est vitale. C'est tout ce dont on a besoin. Et puis, on y a vu des personnages qui semblaient sortis du livre », sourit-elle.

 

Biographies de rebelles
Le livre, Non à l'intolérance, est le troisième recueil de nouvelles publié par ce collectif d'auteurs à l'issue d'une résidence collective. Il s’inscrit dans la collection « Ceux qui ont dit non », publiée par Actes Sud à destination des adolescents, qui compte déjà une trentaine de courts récits biographiques : Non à la violence pour Gandhi, Non à l'exploitation pour Louise Michel, Non à la discrimination raciale pour Rosa Parks… Pendant les résidences, les auteurs font se rencontrer la rébellion de ces grandes figures avec la révolte des adolescents d'aujourd’hui. Ils proposent des ateliers d'écriture et se nourrissent de la réalité du territoire pour écrire un recueil de nouvelles.

Après Non à l'individualisme, dans la Drôme, et Non à l'indifférence, dans le Finistère, la résidence en Haute-Provence s'est déroulée dans une atmosphère particulière - « entre rire et larmes » - dit Murielle Szac. Le projet a démarré au moment des attentats contre Charlie Hebdo, et s'est terminé peu après ceux du 13 novembre. A ces événements s'est ajouté un drame intime vécu par les auteurs : l'un des membres du collectif, Gérard Dhôtel, a participé à la résidence depuis son lit d'hôpital et s'est éteint avant la fin, vaincu par un cancer. Ses amis ont fini d'écrire ensemble sa nouvelle inachevée.

 

Toute ressemblance avec la réalité n'est pas fortuite
Pourtant, « on n'arrive pas à mettre un point final », avoue Murielle Szac, ce matin de novembre, aux habitants réunis dans la médiathèque. La rencontre entre les auteurs et la population locale a été intense, tout au long de l'année 2015. « La littérature est souvent une histoire de solitude à solitude : celle de celui qui écrit, et celle de celui qui lit, remarque Bruno Doucey. Là, ces deux solitudes sont conjurées. Nous avons vu où est arrivé le pollen des livres, ce que vous en avez fait. »

Non à l'intolérance est fait de tous ces moments de partage et de confidence, de l'histoire des lieux aussi, que l'imagination des écrivains a transformé en fictions. Un prénom, une attitude, un parcours de vie… Au fil des pages, les habitants reconnaîtront l'un des leurs dans un personnage, un paysage familier dans une description… Toute ressemblance avec la réalité n'est pas une coïncidence fortuite ! 

 

"Nous avons vu où arrive

le pollen des livres"

 

« On est là pour vous dire que ça sert à quelque chose de se lever, de dire non. On est un collectif d’écrivains… A votre avis, on est plus fort tout seul, ou avec les autres ? » Maria Poblete, journaliste indépendante et écrivain, est assise avec cinq adolescents, à l’étage de la MJC de Saint-Auban. En quelques phrases, elle évoque Lucie Aubrac, Nelson Mandela, la résistance. Puis vient le moment, pour chaque participant, d’écrire ce à quoi il dit non. Devant les ardoises et les feuilles blanches, Analucia et Soumya échangent des regards paniqués. « On ne trouve pas son non en claquant des doigts. C’est dur d’écrire », les rassure Maria, avant de discuter avec chacun pour aider les mots à venir.

 

Un peu plus d’une heure plus tard, les jeunes et quelques adultes qui ont écrit aussi, un peu à l’écart, lisent leur texte. Analucia dit « Non aux préjugés. Pourquoi dit-on que les filles aiment le rose alors que je déteste cette couleur ? Pourquoi dit-on que les hommes ne pleurent jamais alors qu'eux aussi ont des larmes à faire couler ? » Amine a écrit un poème contre la haine et la guerre. Soumya dit « Non à l’obligation, à la déception, à l’impossibilité, à l’argent ». Loïc surprend tout le monde : en si peu de temps, il a réussi à écrire une courte nouvelle, l’histoire d’une jeune fille désespérée par le regard des autres.

 

Comme ces ados de Saint-Etienne-les-Orgues et de Château-Arnoux Saint-Auban, les habitants de la communauté de communes Moyenne Durance ont été invités, durant quatre mois, à répondre à la question : « Et vous, à quoi dites-vous non ? » Des ateliers d’écriture ont été organisés au collège, dans les centres sociaux, à la médiathèque, à l’usine… Six auteurs sont venus à tour de rôle pour des résidences d’une dizaine de jours chacun, partageant leur temps entre les ateliers et l’écriture de nouvelles, qui seront publiées dans un recueil collectif : « Non à l’intolérance ».

 

Victor Hugo, Rosa Parks, Louise Michel, Federico Garcia Lorca… Publiés chez Actes Sud Junior, les livres de la collection « Ceux qui ont dit non » sont des romans historiques, des biographies de personnages choisis parce qu’ils sont opposés « à la peine de mort », « à la discrimination raciale », « à l’exploitation », « au franquisme »… Dédiée aux adolescents, la collection est portée par un esprit de solidarité entre ses auteurs qui avaient déjà mené ensemble deux résidences et deux recueils de nouvelles : « Non à l’individualisme », et « Non à l’indifférence ». « Une résidence d’auteurs collective, ça n’existait pas en France, indique Maria. On a commencé il y a trois ans, dans la Drôme, lors de la Fête du Livre de Jeunesse de Saint-Paul-Trois-Châteaux. On voulait voir comment tout un territoire dit non, de la maternelle à la maison de retraite. C’est là qu’on a rencontré Sabine et Monique. »

 

Engagées dans la vie associative locale, notamment le centre social La Marelle et la MJC de Saint-Auban, Sabine Akroun et Monique Lecomte ont un coup de cœur pour la démarche et décident de faire venir les auteurs. Le montage et le financement du projet, porté par La Marelle, ne sont pas simples, mais ces difficultés ont créé des liens. « On avait très envie de venir, et le territoire que nous avons découvert sera sans doute présent dans les nouvelles que nous écrivons », confie Maria Poblete.

"Et vous, à quoi dites-vous non ?"

Le 18 avril au Théâtre Durance, la résidence a été clôturée par des chants, des danses, des slams, ainsi que par la lecture de textes écrits lors de la résidence, du journal de bord des auteurs, et des textes des ouvrages de la collection "Ceux qui ont dit non". 

La MJC de Saint-Auban a participé en organisant un atelier graff devant le théâtre.

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